un trio turbulent : Gyp met en scène ses souvenirs.

Voici un petit livre qui permet à son auteur d’évoquer des souvenirs lointains, amicaux et douloureux.

En 1929, la comtesse de Martel, dite Gyp, née en 1849, a 80 ans ; elle a une longue carrière littéraire derrière elle, et ses succès, commencés avec Petit Bob en 1882, datent… Elle n’en continue pas moins à publier, moins fréquemment que par le passé. Son précédent livre, le coup du lapin, date de 7 ans maintenant.

Cette année, elle publie 3 livres, dont Un Trio turbulent, dans la célèbre Bibliothèque Rose.

Ce sera un succès, peut-être aidé par le fait que le livre figure parmi les 3 ouvrages de l’année, retenus pour le concours annuel de la Bibliothèque rose, avec les Fureurs du Colonel, de Mary Coloney, et Toutou à Paris, de (l’inévitable) Magdeleine du Genestoux.

Ce roman, illustré par André Pécoud, est dans la veine qui a si bien réussi à Gyp : mettre en scène des enfants avec leur langage (plus ou moins supposé) et leurs frasques, au milieu d’adultes le plus souvent amusés, et pour certains très caricaturaux. On n’y retrouve pas, heureusement, les obsessions antisémites de l’auteur – nous sommes loin de l’affaire Dreyfus.

Gyp est peut-être bien nostalgique des années 1880-1900 – en tout cas de nombreux éléments du livre y font référence.

Le trio éponyme est formé de trois enfants : Aymar, 14 ans, Thierry, 13 ans, et Nicole, dite Nini, 9 ans. Gyp a eu trois enfants : Aymar, né en 1873 (14 ans en 1887), Thierry, né en 1875 (13 ans en 1888), et Nicole, née en 1877 (9 ans en 1886). Le roman est situé sans doute dans les années 1885.

C’est sans doute un des souvenirs douloureux de Gyp : ce roman est dédié à Thierry et à Nini, hommage de leur victime principale, Gyp, daté de décembre 1928.

Aymar n’est pas mentionné, et pour cause : il est mort en 1900, au Soudan.

Les parents des enfants sont le couple de Montel (et pas de Martel). L’histoire commence à Paris, mais très vite l’action va se poursuivre sur la côte normande : la famille va séjourner, à Tigre sur mer, dans une maison appelée le Chalet Diaz – et des cousins viennent également dans une villa voisine, la Farandole.

Viennent se joindre à la famille, des amis, dont Suzon Gaule, fille du grand écrivain Théodore Gaule. dont le précepteur de la famille dit :

« Ah ! je suis vraiement enchanté !… Certainement les idées de monsieur Théodore Gaule ne sont pas très orthodoxes, mais je le tiens, après Barrès, pour le premier écrivain de notre temps… »

On trouve aussi au chalet un autre ami de la famille, « le capitaine », « un vieux de cinquante-cinq ans… ». Il pourrait bien ressembler à Arman de Caillavet, le mari de Léontine Arman de Caillavet.

Il est facile de reconnaitre dans Suzon Gaule Suzanne France ; on sait qu’après sa séparation d’avec son épouse Anatole France ne pouvait voir sa fille que par l’entremise de Gyp, ce qu’elle confirme dans cette réplique mise dans la bouche d’Aymar :

« vous l’verrez aussi… Y vient pendant un mois… L’est séparé d’madame Gaule, alors c’est à la maison qu’y voit Suzon… »

De nombreux traits de France se retrouvent dans le personnage de Gaule, et notamment ses constants retards ; on retrouve les mêmes traits dans les livres de souvenirs de Michelle Maurois.

André Pécoux, dans le frontispice, choisit justement de mettre en scène Théodore Gaule – un personnage à longue barbe, marchant d’un pas dynamique, avec une canne – portrait d’Anatole France.

Les lieux sont également assez faciles à reconnaitre : Tigre sur mer, c’est Lion sur mer, qui touche Hermanville sur mer ; à Hermanville, Gyp loue une villa : la Farandole (qui a changé plusieurs fois de nom).

source : inventaire général, Normandie.

En 1929, presque tous ces personnages sont morts, à commencer par Aymar, mort du typhus, au Soudan, en 1900 – et notamment Anatole France, depuis 4 ans et sa fille Suzanne, morte en 1918. Gyp mourra trois années plus tard.

Nb : on trouvera d’autres renseignements sur Anatole France, sa fille Suzanne, dans cet article : Bibliothèques féminines autour d’Anatole France.

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