Les sept princesses – un livre avorté

Jean Lorrain, « écrivain scandaleux »,  est connu pour ses romans : Monsieur de Bougrelon, Monsieur de Phocas, la Maison Philibert – et également pour ses recueils de contes, dont principalement « Princesses d’ivoire et d’ivresse« , publié en 1902 par Ollendorff.

Lorrain attachait une grande importance aux contes, ainsi qu’il le dit lui-même, dans le texte publié en préambule à ce recueil ; texte remanié plusieurs fois au gré de ses publications. Et la publication de 1902 ne correspond pas à ce que voulait Lorrain.

En effet, avant cette publication, Jean Lorrain a le projet d’un livre regroupant sept contes – sept princesses – illustrés par Manuel Orazi (1860-1934) – artiste que Lorrain apprécie particulièrement, et pousse autant qu’il le peut.

Mais les tractations, négociations, pourparlers autour de la réalisation pratique du livre décourageront Lorrain, qui se contentera d’une publication dans une collection à grand tirage – c’est un livre au format in-12, de 264 pages, non illustré ; tiré sur un papier très ordinaire, vendu trois francs cinquante. Il existe un tirage de tête, 10 exemplaires sur Hollande, au même format.

couverture
origine : librairie l’amour qui bouquine – Bertrand Hugonnard-Roche

Du projet initial seule a survécu la couverture, illustrée par Orazi, et représentant les sept princesses du projet initial (trois sur la couverte, une sur le dos, et trois sur la quatrième page de couverture), chaque princesse étant accompagnée de son attribut permettant de l’identifier. Même la liste des contes prévue n’est pas respectée – des sept contes d’origine, six seront repris dans le recueil, qui au total comportera vingt-trois contes, regroupés en cinq sections.

Jérôme Doucet, dans la préface de « Narkiss« , publié en 1908 pour financer l’érection d’un  Monument à Lorrain, nous rappelle que ce dernier n’était pas satisfait de ces éditions :

‘Jérôme, mon bon ami, quand ferons-nous le volume de luxe?’

Lorrain n’a connu que trois éditions de luxe de ses ouvrages : La Mandragore, illustré par Marcel Pille,  publié par Pelletan en 1899, Ma petite Ville, illustré par Orazi, publié par Louis Henry May en 1898, et la Princesse sous Verre, illustrée par André Cahard, publié par Tallandier en 1896 (ce conte est repris dans les Princesses d’Ivoire et d’Ivresse). Princesse d’Italie, illustré par Orazi, publié en 1898 par Borel, ne peut pas vraiment être considérée comme une édition de luxe, même s’il existe  un tirage en grand papier.

Les sept contes du projet initial, qui ont bien été illustrés par Orazi, ont été publiés dans la Revue Illustrée :

  • la Princesse aux lys rouges, publié le 15 novembre 1897
  • la Princesse des chemins, publié le 1er décembre 1897
  • Le conte des trois duchesses, publié le 1er avril 1898
  • la Princesse au Sabbat, publié le 1er décembre 1898
  • la Princesse Neigefleur, publié le 1er janvier 1899
  • la Princesse aux oies, publié le 15 septembre 1899
  • la Princesse Ottilia, publié le 15 novembre 1899.

Tous ces contes avaient fait l’objet de publications antérieures, dans l‘Echo de Paris, le Journal, ou Le Courrier Français – sauf la Princesse aux oies, qui n’a pas non plus été retenu pour les Princesses d’ivoire et d’ivresse.

les illustrations d’Orazi, des aquarelles tirées en couleur, sur papier couché, sont donc restées limitées à la Revue Illustrée – Revue disponible sur Gallica, certes, mais en noir et blanc uniquement.

la Princesse aux lys rouges.

le conte se termine par une illustration pleine page :

lys_rouge

Logiquement, la tonalité de l’illustration est le rouge.

La Princesse des chemins.

Ce conte, assez exceptionnellement, est illustré en camaïeu de bistre.

Il est à noter que pour une de ces illustrations, Manuel Orazi s’est sans doute inspiré du tableau de Jean-Paul Laurens, peint peu d’années auparavant, Saint Jean Chrysostome et l’impératrice de Byzance :

Conte des trois duchesses.

Comme pour le précédent, Orazi a choisi des illustrations monochromes, grises ou bistres.

Ce conte sera publié dans les Princesses d’ivoire et d’ivresse, avec le titre ‘Les Filles du vieux Duc‘.

la Princesse au Sabbat.

Sur la couverture, son attribut est une grenouille.

la Princesse Neigefleur.

On aura reconnu Blanche-Neige dans ce conte. Exceptionnellement, le conte est précédé d’une page de titre.

la Princesse aux oies.

Ici Orazi a principalement utilisé des hors-texte.

la Princesse Ottilia.

Ordre

Quel aurait pu être l’ordre de publication de ces contes ? je les ai présentés dans l’ordre de publication de la Revue Illustrée, mais on sait par d’autres exemples qu’il n’a pas grand chose à voir avec la publication en livre.

Dans le recueil de 1902, l’ordre retenu est le suivant :

Dans la section ‘princesses d’ivoire et d’ivresse’ :

  • la Princesse aux lys rouges
  • la Princesse des Chemins
  • la Princesse au Sabbat
  • les filles du vieux Duc (le conte des trois duchesses)

Dans la section ‘Princesses d’ambre et d’Italie’ :

  • la Princesse Ottilia

Dans la section ‘Contes de givre et de sommeil’ :

  • la Princesse Neigefleur

Autres contes dans la Revue Illustrée

Le recueil publié comporte vingt-trois contes, dont seulement six du projet initial. Parmi les dis-sept autres contes publiés, six avaient donné lieu à une publication dans la Revue Illustrée :

  • la Princesse sous verre, publiée le 1er décembre 1895, avec des illustrations d’André Cahard. Elle sera republiée par la Revue Illustrée le 20 décembre 1905 et le 5 janvier 1906, sous le titre ‘Roses de Noël’, avec des illustrations de Lubin de Beauvais.
  • la Légende de la fée Mélusine et du Chevalier Raymondin, publiée le 15 mars 1896, avec des illustration de Henry Bellery-Desfontaines.
  • la Légende d’Amadis et de la fée Oriane, publiée le 1er juillet 1896, avec des illustrations de Henry Bellery-Desfontaines.
  • la Princesse Mandosiane, publiée le 1er juin 1899, avec des illustrations d’Alfred  Daguet.
  • Neighilde, publiée le 1er décembre 1899, avec des illustrations de Henri-Patrice Dillon.
  • L’inutile vertu, publié le 1er août 1901, illustré par Georges Conrad.

En plus de ceux-ci, la Revue Illustrée a publié d’autres contes de Lorrain – comme par exemple la Reine Maritorne ; un recensement de ces contes serait intéressant. Quatre de ces contes sont reproduits dans cet article : la Bonne Gudule, la Princesse Mandosiane, Neighilde, la Reine Maritorne.

Pour aller plus loin

Le recueil ‘Princesses d’ivoire et d’ivresse‘ se trouve facilement – soit dans une des rééditions d’Ollendorf, soit dans l’édition donnée par Jean de Palacio chez Séguier, en 1993.

Sur ce sujet, il faut lire également ‘les périodiques illustrés (1890-1940)‘, présenté par Philippe Kaenel, aux éditions In-Folio, 2011 – notamment la contribution d’Evanghélia Stead : De la revue au livre : Jean Lorrain et ses illustrateurs dans la Revue Illustrée.

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10 réflexions sur “Les sept princesses – un livre avorté

  1. Merci pour tous ce que vous écrivez sur les anciens textes illustrés. Ce poste-ci m’intéresse car j’ai traduit des contes de Jean Lorrain, et j’ai trouvé un éditeur qui voudrais les publier l’année prochaine. Serait-il possible de trouver de bons exemplaires des illustrations qui ont accompagné certains des contes de Lorrain dans La Revue illustrée ? Je pense à ajouter quelques images à mes traductions.

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  2. bonjour, merci pour votre commentaire sympathique ! pour de bonnes illustrations, il n’existe pas, à ma connaissance, de numérisation en couleurs de cette Revue. Mais vous devez pouvoir en acheter, elle est relativement courante, notamment sur EBay, pour une somme modique (40 à 50 euros pour une reliure regroupant un semestre) – les frais de port représentant une grosse partie de la dépense. Je ne vous propose pas de photos de mes exemplaires, je ne suis pas équipé de matériel de qualité suffisante pour une publication.

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    1. Merci pour la recommandation d’acheter des images de la Revue. J’ai trouvé sur le site web de la BnF qu’il est possible d’acheter des images ‘haute définition’ pour 25 euros ou de qualité premium pour 50 euros.

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