Defer de Maisonneuve, les débuts du livre illustré de gravures en couleur.

André Defer de Maisonneuve, né en 1749, est un éditeur parisien de la fin du XVIIIe siècle ; son catalogue pour l’année 1788 est connu (numérisé sur Gallica) – on y trouve, notamment les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, et l’annonce d’une bible en souscription, imprimée par Didot Jeune. Quelques ouvrages légers sont présents « avec figures », d’un prix en général raisonnable.

Ce catalogue est précieux également parce qu’il donne les prix de ces publications ; en général autour de de deux livres par volume. Il y a des différences, comme par exemple les petites Aventures de Jérôme Sharpe, quatre livres, mais qui renferme 18 figures gravées. De même, le dictionnaire de musique de Rousseau est vendu douze livres, mais c’est un in-4° relié, avec musique gravée. Les œuvres complettes de Rousseau, avec figures, 25 volumes in-12, relié, est vendu 75 livres, en 20 volumes in-8°, 120 livres.

A ce moment, toutes les éditions « avec figures » sont illustrées de gravures en noir. Il existe des exemplaires avec les gravures coloriées, mais ces gravures sont coloriées à la main ; il ne s’agit pas de « gravures en couleur », c’est-à-dire de gravures tirées en un seul passage, comprenant le noir et les couleurs.

En voici un exemple : deux gravures tirées en noir ; celle de gauche coloriée (illustration pour les amours de Psyché et de Cupidon, édition de Pierre Didot au Louvre, en 1797).

(petite parenthèse généalogique : Didot le jeune, ici, est Pierre-François Didot, né en 1731, l’oncle de Pierre Didot, né en 1761, dont bien plus jeune que Didot « le jeune »)

La technique d’impression de gravures en couleur existe pourtant depuis plusieurs décennies, mais elle est appliquée rarement, et (en 1790) n’a encore jamais été employée pour un livre. Il s’agit de la gravure à la poupée : les couleurs sont posées directement sur la plaque, aux emplacements voulus, au moyen d’un tissu roulé (qu’on appelle une poupée). Il faut ensuite enlever le surplus d’encre (ne laisser de l’encre que dans les creux de la plaque), sans enlever l’encre dans les creux, et sans mélanger les couleurs… ceci à chaque impression d’une gravure !

En voici une illustration, tirée du site des ateliers Moret :

Psyché et Cupidon, 1791.

En 1791, Defer de Maisonneuve annonce une nouvelle édition de ce qui est un classique : les Amours de Psyché et de Cupidon. Voici l’annonce publiée dans la Feuille du jour, le 10 décembre 1791 (source Gallica) :

LIVRES NOUVEAUX
Les amours de Psyché et de Cupidon, par Lafontaine , édition ornée de figures imprimées en couleurs à la manière angloise, d’après les tableaux de M. Schall. Un volume in-4°, grand papier Nom de Jésus ; de l’imprimerie de M. P.F Didot le jeune , prix, broché en carton et satiné, 27 liv. 10 sous. Il y a quelques exemplaires en papier vélin à 75 liv. A Paris, chez Defer de Maisonneuve, libraire, rue du Foin Saint-Jacques, la porte cochère au coin de la rue Bouttebrie.
Il paroît que M. Defer de Maisonneuve cherche à se distinguer par l’entreprise de superbes éditions : il a déjà éprouvé que la difficulté des temps n’es pas un obstacle au succès, quand on ne néglige ni soins ni dépenses pour se l’assurer. Cette édition des Amours de Psyché, de Lafontaine, est ornée de quatre gravures charmantes, d’après les tableaux de M. Schall, et ces estampes étant imprimées en couleur, sont elles-mêmes de véritables tableaux. Pour le texte, il sort des presses de M. Didot le jeune ; cette annonce suffit pour faire complettement l’éloge de la partie typographique.

Le prix annoncé (27 livres pour les exemplaires courants) pour un ouvrage non relié, illustré de seulement quatre gravures, indique clairement la différence avec les publications habituelles du moment – c’est vraiment un objet de luxe.

Il s’agit donc d’un in-4° (25 cm sur 33 cm environs, suivant le relieur..) de 163 pages ; à la fin peut être inséré le prospectus de la publication suivante de Defer de Maisonneuve, le Paradis perdu de Milton.

Le texte est donc illustré de quatre gravures d’après les tableaux de Jean-Frédéric Schall (né en 1752 à Strasbourg, mort à Paris en 1825), peintre spécialisé dans les sujets « légers ». Voici ces gravures :

Le rendu est très différent d’une gravure coloriée, et comme l’affirme l’annonce, ce sont pratiquement « de véritables tableaux ».

le Paradis perdu, 1792.

Defer de Maisonneuve prépare rapidement l’ouvrage suivant : le Paradis perdu de Milton. Le prospectus correspondant est joint à certains exemplaires de Psyché :

LE PARADIS PERDU,
POËME
PAR MILTON.
EDITION EN ANGLOIS ET FRANçOIS.
Deux volumes in-4° grand papier.
Ornés de douze estampes imprimées en couleur d’après
les Tableaux de M. SCHALL.
A PARIS,
chez DEFER DE MAISONNEUVE, libraire rue du Foin St-Jacques, N°11.
Cette édition, conforme aux Amours de Psyché et de Cupidon,
paroîtra dans le courant de 1792.
Les personnes qui voudroient se faire inscrire peuvent le faire à l’adresse ci-dessus.
ON NE PAIE RIEN D’AVANCE.
L’édition sera livrée toute satinée.

La publication est annoncée dans le Mercure Français, le 16 décembre 1792 (source Gallica) :

Le Pardis, perdu, poëme de Milton, édition en anglais et en français, ornée de 12 estampes imprimées en couleur, d’après les tableaux de M. Schall ; 2 vol. grand in-4°, papier velin ; prix 90 liv. broché, et 120 liv. relié. A Paris, chez Defer de Maisonneuve, rue du Foin Saint-Jacques, n° 11.
Cette magnifique édition est un des chefs-d’oeuvres typographiques dont le libraire Maisonneuve nous enrichit depuis quelques années, et qui ont attiré l’attention des amateurs. La traduction qu’il réimprime est celle de Dupré de Saint-Maur, qui est estimée.

On voit que le prix est nettement plus important : on passe de 27 livres le volume à 45 livres ; mais il est satiné – et chaque volume est orné de six gravures, au lieu de quatre pour Psyché.

Le livre est donc un in-4° (25 cm sur 34 cm), en deux volumes, de viii-391 et 377 pages, débutant par la vie de Milton. Chacun des douze chants est illustré d’après un tableau de Schall. Il me semble que ces gravures sont mieux réalisées que pour le Psyché – avec des couleurs plus profondes. Mais cela tient peut-être au sujet, et à la tonalité des tableaux de Schall.


Après cette édition Defer de Maisonneuve poursuivra cette série ; ce sera le sujet d’un prochain article.

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