Contes de Jean Lorrain à la Revue Illustrée : tirages de tête et tirages à part.

Jean Lorrain a publié de nombreux contes, dans différentes revues ; ces contes ont pour certains été réunis en volumes. Avec la Revue Illustrée, dirigée par René Baschet, et son ami Jérôme Doucet qui en était le « secrétaire de la Rédaction » – titre vague s’il en est, il a pu voir beaucoup de ces contes être illustrés par de nombreux artistes – illustrations souvent non reprises en volumes.

J’ai déjà publié plusieurs articles sur ces contes :

La Princesse sous Verre – Tallandier

Parmi ces contes, la Princesse sous Verre, illustré par André Cahard, publié dans la Revue Illustrée le 1er décembre 1895, se détache. Jean Lorrain le considérait comme un de ses meilleurs contes, la perle de l’écrin, comme il le dit dans une lettre à Jérôme Doucet.

Cas unique (la Mandragore, que publie Pelletan, n’est pas la réédition d’une publication en revue, c’est une nouvelle édition avec une illustration originale), ce conte fera l’objet d’un tirage particulier, mis dans le commerce, avec l’éditeur Tallandier, en 1896 :

  • 50 exemplaires sur japon,
  • 170 exemplaires sur papier « Idéal ».
Edition Tallandier : page de titre – justification

La justification est imprimée à la place du texte de la première page du conte. Au minimum les exemplaires sur japon sont accompagnés d’une suite des illustrations sans le texte, imprimée sur une seule face, sur le même papier. Ces exemplaires sont présentés dans un coffret avec une fenêtre de mica, permettant de voir la première page (qui est la page de justification, servant de titre).

Source : Lettres de Jean Lorrain à Jérôme Doucet, É. Stead et É. Walbecq, éditions de Lérot, 2022.

Le livre est devenu rare – et le coffret avec sa fenêtre encore plus. Dans la bibliothèque de Sarah Bernhardt, vendue les 25, 26, 27 juin et 3 juillet 1923, figurait un exemplaire sur japon de ce livre :

Voici la reproduction de ce conte, exemplaire sur japon. La dernière photographie montre, à gauche, la dernière page du conte, et à droite, la première page des illustrations sans le texte.

Voici l’illustration la plus célèbre de ce conte, sur double page, sans le texte :

Correspondance de Lorrain avec René Baschet et Jérôme Doucet.

Mais si ce conte était privilégié, les autres contes, et notamment ceux illustrés par Manuel Orazi, n’étaient pas négligés pour autant. La correspondance entre Jean Lorrain et Jérôme Doucet, en grande partie publiée dans le livre d’Évanghélia Stead et Éric Walbecq, ainsi que les lettres envoyées par Jean Lorrain à René Baschet, directeur de la Revue Illustrée, connues notamment par un lot de 29 lettres passé en vente le 6 novembre 2020 chez Beaussant-Lefèvre, lettres présentées sur ebay par un libraire (F. Chabaud, Bordeaux), en attestent.

Lettres de Lorrain à René Baschet.

Voici une première lettre à René Baschet (en vente sur ebay, oldpapergallery) :

Ce mardi matin 11 Xbre [mercredi 11 décembre 1895 ?]
Cher monsieur, je vous supplierai en grâce de vouloir bien me répondre – voilà trois fois en quinze jours que je descends exprès d’Auteuil à la rue de l’Abbaye sans vous trouver et pouvoir obtenir une réponse pour la Princesse sous verre – Puis-je compter pour le 20 sur 15 tirages à part de ce conte dont 5 sur Hollande – en payant bien entendu. Vôtre Jean Lorrain
.

Voici une seconde lettre de Lorrain à René Baschet :

Ce mardi matin (17 décembre 1896)
Mon cher René Baschet
C’est 14 Princesses sous verre sur papier ordinaire et sans doubles des gravures sans texte qu’il me faut au lieu de 10, indépendamment des 10 sur japon en double. J’y puis compter n’est-ce pas.
Tirez m’en autant pour Mélusine 10 japons avec double, 14 simples sur beau papier..

On notera que Lorrain souligne la Princesse sous verre, mais pas Mélusine.. Il demande à René Baschet des tirages à part de ses contes, car il s’en sert pour ses vœux de nouvelle année – avec visiblement deux catégories de destinataires : les privilégiés, qui recevront un conte sur japon avec tirage des illustrations sans le texte, et les autres, qui se contenteront d’un conte sur papier « courant » (le papier d’origine du tirage dans la Revue Illustrée, soit un papier Draeger couché, épais), sans tirage des gravures sans le texte.

Pour ce genre de demandes Jean Lorrain écrit bien sûr à son ami Jérôme Doucet – en voici des exemples, tirés pour la plupart du recueil de ses lettres déjà cité.

Lettres à Jérôme Doucet.

Voici une première lettre, datée du 27 décembre 1897 :

source : annonce ebay oldpapergallery
fin de la lettre. A noter la formule de politesse de Lorrain.

Marseille, ce 27 X (27 décembre 1897 ?)
mon cher ami.
Je vous confirme ma lettre. Faites moi savoir ici par télégramme quand mes 12 exemplaires de contes seront prêts que je les fasse prendre, on a des ordres chez moi pour les envois et les dédicaces, mais je voudrais bien que ce fut avant le 31.
[…]
Donc merci d’avance
et new year, an happy new year
Jean Lorrain

Nb : cette lettre figurait dans le lot des lettres de Jean Lorrain à René Baschet ; mais Baschet, cité dans la lettre, ne peut pas être le destinataire.

Le recueil de lettres cité reproduit une autre lettre (page 54) avec les mêmes demandes :

Ce mardi matin [fin 1899-début 1900]
Mais je n’en demandais pas tant cher ami – Mais j’aurais bien voulu avoir à offrir à mes belles amies trois contes tirés à part comme l’an dernier et je n’aurais que la Grenouille ce qui est maigre.
Ne pourrait-on me tirer deux autres contes avec, par exemple la Princesse aux oies et Neige Fleur 12 de chaque ah si vous pouvez faire cela pour moi […]

Dans cette lettre Jean Lorrain cite trois contes : la Princesse aux oies, paru dans la Revue Illustrée le 15 septembre 1899, NeigeFleur, le 1er janvier 1899, et « la Grenouille », qui correspond sans doute à la Princesse au sabbat, publié le 1er décembre 1898 (la Mandragore, autre conte de Lorrain, n’ayant pas été publié par la Revue Illustrée, mais par Pelletan, qui n’est pas du tout adepte des tirages à part).

Tirages à part des Contes de Jean Lorrain.

Ces tirages à part, comme on le voit dans ces lettres sont peu importants : Jean Lorrain parle de 12, 10, 14 exemplaires. A chaque nouvel an, il en demande à peu près le même nombre, sans doute une vingtaine, à partir des contes édités dans l’année. Ces contes, utilisés comme cadeaux « à ses belles amies » n’ont sans doute pas été conservés avec toute l’attention qu’on aurait pu espérer ; et effectivement ils sont rares. En voici deux exemplaires – l’un d’après un catalogue de vente de 1923, l’autre, réapparu tout récemment.

Exemplaires des tirés à part : Sarah Bernhardt.

On a vu que jean Lorrain a envoyé un exemplaire de la Princesse sous verre à Sarah Bernhardt. Logiquement, il lui a également envoyé des exemplaires de ses autres contes, en tirage à part. On en retrouve deux groupes dans sa bibliothèque :

On notera que les trois contes en question sont justement les trois qui sont cités dans la dernière lettre (fin 1899) de Jean Lorrain à Jérôme Doucet, ce qui semble bien indiquer que Jérôme Doucet a bien fourni les 12 exemplaires demandés.

Autre exemplaire des tirés à part.

Le 16 septembre 2023, la maison Morel de Westgaver à Bruxelles à vendu le lot suivant :

Estimé 300 à 400 euros, le lot a été adjugé 320 euros. La description du livre est légèrement fautive ; il y a bien un feuillet de justification manuscrite, écrite par Jérôme Doucet, et qui concerne les 4 contes en tirage à part :

Il a été tiré de ces contes – parus à la Revue Illustrée – douze exemplaires avec suite avant lettre – sur japon impérial- pour le Christmas de jean Lorrain – et offerts par lui.
N° 12.
Jérôme Doucet
secrétaire de la Revue Illustrée.

On notera, comme pour le numéro 684 de la vente Sarah Bernhardt, la présence des trois mêmes contes, auxquels se rajoute ici la Princesse Ottilia, parue une année plus tôt. Et le nombre d’exemplaires (12) vient confirmer ce que demande Jean Lorrain dans sa lettre. On pourrait aussi rapprocher « christmas » employé par Doucet du « happy new year » de Lorrain…

Dans cet exemplaire est présente également une lettre de Jean Lorrain à Jérôme Doucet, inédite à ma connaissance ; elle n’apporte pas grand chose mais s’inscrit bien dans le contexte d’édition des contes (publiés en volume chez Ollendorff) :

Ce lundi 11 jvr (1897)
Mon cher ami
je passerai demain mardi vers 4h rue de l’Abbaye causer avec Contes de Noel et contes Offendorf
Croyez moi votre
Jean Lorrain.

Le recueil ne comporte pas d’envoi de Jean Lorrain, mais il semble que des inscriptions aient été effacées – sur papier japon, cela laisse des traces.

Tirage à part : Problème du nombre de page.

Dans la Revue Illustrée, toutes les publications « de luxe » sont tirées sur un papier spécial, différent du papier standard de la revue : un papier Draeger couché, assez épais, qui met bien en valeur les illustrations. De ce fait, toutes ces parties sont mises en pages sur un multiple de 4 pages : souvent 8, quelquefois 12, exceptionnellement 16 (comme pour la Princesse sous Verre). Il est facile alors d’en faire un retirage sur un papier différent (sur japon impérial, par exemple). Mais il y a une exception à cette règle : la Princesse Ottilia a été composée sur 9 pages..

Voici les 2 dernières pages du conte :

Il n’était pas possible de tirer 9 pages à part… la solution choisie a été de limiter le conte aux 8 premières pages. La fin est donc totalement escamotée ; on s’arrête sur la révélation que la princesse a un soupirant, et la partie tragique (la princesse reçoit la tête de son soupirant dans un coffret) ne peut qu’être imaginée. Pour réaliser ceci aussi élégamment que possible, Jérôme Doucet a simplement fait rajouter un tiret en bas de la page 8…

Illustrations des contes, sans le texte.

Pour terminer, voici quelques illustrations de ces contes, en tirage sans le texte. Elles sont tirées sur papier Draeger, et pas sur japon impérial, comme les contes eux-mêmes. Les contes sont reproduits en intégralité dans cet article : Les sept princesses – un livre avorté.

Neigefleur :

La Princesse aux oies :

La Princesse au Sabbat :

La Princesse Ottilia :

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