les maris de mamzelle Nounouche – une édition Jérôme Doucet.

En 1906, paraît un livre illustré, chez Floury : une réédition du roman de Camille Lemonnier, Les maris de Mamzelle Nounouche, illustré par Auguste Vimar – Vimar est un illustrateur qui a une forte préférence pour les animaux, et en particulier les chats ; ça tombe bien, Mamzelle Nounouche est une chatte.

Cette édition comporte une préface, signée de Jérôme Doucet – c’est en effet une de ses activités assez courantes, il a préfacé une bonne dizaine d’ouvrages, d’auteurs qu’il voulait aider, ou d’éditions qu’il avait préparées personnellement (comme par exemple Gaspard de la Nuit).

Le livre est un in-4° de 148 pages, de format 24 x 18,5 cm ; il est imprimé sur un papier épais, parfait pour recevoir les reproductions des 65 aquarelles de Vimar.

Le tirage est de 368 exemplaires sur papier d’Arches à la forme, vendus 20 francs ; il existe un tirage de tête, composé de 32 exemplaires sur papier des manufactures impériales du Japon, avec une double suite en noir sur chine, et deux aquarelles originales, à 100 francs. Il est imprimé par les Imprimeries Gérardin, l’achevé d’imprimer étant daté d’octobre 1904.

bizarreries

Voici une première bizarrerie : imprimé fin 1904, il n’est publié qu’en 1906… un délai assez inhabituel.

achevé

Si nous cherchons dans la bibliographie de Camille Lemonnier, nous trouvons, dans la monographie que lui a consacrée Maurice des Ombiaux en 1909 (donc à une date très proche de la publication) la phrase suivante :

bibliographie

LES MARIS DE MAMZELLE NOUNOUCHE (Roman). – Petit in-quarto. Doucet. Paris. Aquarelles de A. Jimar.

A part la coquille sur Vimar, cette notice présente Doucet comme l’éditeur du livre, et non pas Floury ! Il va falloir creuser un petit peu.

Première piste : l’imprimeur.

Première piste : l’imprimeur, Gérardin, qui imprime l’ouvrage en 1904. Cet imprimeur ne nous est pas inconnu : il a imprimé, pour Jérôme Doucet, plusieurs des publications de l’éditeur Le Livre et l’Estampe ; dont notamment Le Mort, de Camille Lemonnier, en novembre 1902 ; le Livre des Masques, de Doucet, en août 1903 ; Monsieur Minns, Horace Sparkins, de Dickens, en septembre 1903 (sur le même papier que Nounouche, d’ailleurs) ; Princesses de Jade et de Jadis, de Doucet, en août 1903 (sur le même papier) ; le Jardin de ma Pensée, de Sylvie Poirson, en novembre 1903 (dernière production publiée par le Livre et l’Estampe).

Seconde piste : la préface.

Seconde piste : la préface de Doucet. Doucet, ici, n’a pas de raison d’aider Camille Lemonnier ; ce n’est pas un jeune inconnu qui a besoin de ce genre d’aide. Et d’ailleurs, dans le texte de cette préface, Doucet fait référence au précédent livre qu’il a publié : le Mort… Voici l’extrait en question :

[…] c’est à la fois une surprise et un régal, que ce livre inattendu du robuste écrivain du Mort, illustré par un maître-peintre qu’on ne connaît, en général, que par les pages éparpillées dans les journaux illustrés.

Vimar illustrateur, Lemonnier humoriste, le livre valait d’être fait, par son imprévu, sa grâce, sa perfection.

Doucet parle du livre comme de sa chose, dans la continuité du Livre et de l’Estampe !

Troisième piste : la page de titre.

Pas d’erreur, la page de titre porte bien comme éditeur « Floury, Paris, 1906« . Regardons-y d’un peu plus près…

titre_floury

Effectivement, nous trouvons une caractéristique inattendue : le feuillet de titre n’est pas broché normalement ; il est visiblement collé à la place d’un feuillet enlevé ; le livre a été cartonné !

La page de titre initiale a donc été remplacée par une seconde page, mentionnant Floury comme éditeur. Ceci peut donc expliquer que Maurice des Ombliaux puisse mentionner Doucet comme éditeur : il a eu entre les mains un exemplaire avec la page de titre originelle – ce qui signifierait qu’il existe un ou des exemplaires mentionnant Jérôme Doucet comme éditeur !

L’indice décisif : un exemplaire particulier.

Et effectivement, le 4 décembre 2017, la SVV Sadde a vendu, sous le lot 348, le livre suivant :

LEMONNIER, Camille. – Les Maris de Mlle. Nounouche, histoire de chats. Soixante-cinq aquarelles de A. Vimar.- Paris, Edition Jérome Doucet, 1906.- Petit in-4, broché, non rogné, couverture rempliée. Edition ornée de 65 illustrations en couleurs d’après les aquarelles originales d’Auguste Vimar. Tirage limité : un des 32 exemplaires, celui-ci non justifié, sur Japon avec une double suite en noir sur Chine ; il porte la mention manuscrite « offert à F. Ferroud ». Exemplaire broché tel que paru, il est enrichi d’un billet manuscrit à la plume de Vimar orné d’une aquarelle originale de l’artiste relatif à l’ouvrage : « Mon cher Ami, Vos bons souhaits ce sont croisés avec les miens car vous avez dû recevoir ma lettre comme je reçois la votre. Mais Nounouche ? Qu’arrive-t-il donc à Nounouche ? Pas Paru ? Je recevrai de vos nouvelles avec grand plaisir (…) et croyez toujours, cher Ami, à mes sentiments les plus cordialement dévoués. Auguste Vimar ». Exemplaire broché tel que paru.

Il est clairement indiqué dans la notice « édition Jérôme Doucet », et non pas Floury !  Et effectivement, voici la couverture et la page de titre de cet exemplaire : « Editions Jérôme Doucet » sur l’une, et « Edition Jérôme Doucet » sur l’autre.

A noter que le billet de Vimar, qui s’étonne du retard de l’édition, est certainement adressé à Doucet, et non pas à Ferroud, qui n’est sans doute pas concerné par cette publication – et c’est probablement Doucet qui offre cet exemplaire à Ferroud, son éditeur par ailleurs – voici d’ailleurs une piste pour expliquer que Maurice des Ombliaux ait vu un exemplaire de ce type : les exemplaires de présent ont pu échapper au cartonnage. A noter que la couverture de l’exemplaire personnel de Jérôme Doucet mentionne « éditions Jérôme Doucet« , mais que la page de titre semble bien porter l’adresse de Floury, d’après la description de son dernier passage en vente aux enchères…

Hypothèses.

Après l’arrêt de l’activité du Livre et de l’Estampe, Doucet a visiblement continué son activité, et a mis en chantier au moins un livre ; il est allé suffisamment loin dans son processus d’édition, allant jusqu’à faire imprimer l’ouvrage ; mais des difficultés que nous ne connaissons pas l’ont empêché de le publier sous son nom ; peut-être s’agit-il de problèmes juridiques (création de la structure juridique « éditions Jérôme Doucet » ?) ; en tout cas devant ces difficultés à publier sous son nom il a été obligé de faire porter l’édition par son ami, l’éditeur Floury ; ce qui a obligé à cartonner le feuillet de titre et à retirer la couverture.

Dans les années suivantes, Doucet publiera plusieurs livres « chez l’auteur » ; cette première tentative aura donc porté ses leçons.

 

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